Qui saura habiter
le sommeil vertical                                   des hommes

demande Tang Naiqian assis
sur le pinceau

à la nuit barbouillée

les signes quotidiens se contractent les yeux
noyés dans cet opium, hier

de phrases emmêlées qui rejoignent les jours
anciens dans des nuages noirs

noirs – si les grands vents du large, dit Tang Naiqian, par un côté ou l’autre en venaient à sortir, de leurs gonds détournés, à pénétrer le territoire, hurlant, escaladant roulant autour des constructions, embrassant la tour infinie sous mes pieds, accélérant jusqu’aux nuages lourds – et les trouant, les déchirant de perspectives – au cœur, des morceaux de nuit tomberaient, ils trahiraient leurs intestins contre le verre des tours, la bile noire perlerait, noir – le passé – notre passé :

quelque chose d’en bas                                            devenu
en ruisseaux qui serpenteraient
entre les succursales des banques –

(mais les grands vents n’existent pas

dans l’éternel présent

au moment qu’ils s’en vont nous renverser)

Zhongshan lu, où se rencontrent
la terre, le fleuve et les fils

du milieu, sous le réseau des bus (
tenus dans le brouillard des marécages
de l’est, par nos prières, les dieux meublent
les destinées) de la mairie.

Dans cette toile qu’elles auront tissée
sur un métier de ciment, les Parques
aveugles moucheront les cigales.

À l’est du fleuve, elle attend
la nuit qui versera bientôt

sa publicité sur le sublunaire (
si l’on remplace tous les vingts ans
le papier peint, reviendra-t-il, le bouquet
de pauvres cabanes) sublime

de l’édification, qu’un État intérieur, mal
armé pour simplifier le monde,
veut continuer d’étendre, à son gré.

Chang’an lu. L’armée des gratte-
ciels en cristal égruge

le charbon des masures posées (
un drapeau rouge donne la ligne ;
appelez, on vous éclairera sur
la marche de l’histoire) sur le présent.

Les quartiers se dévorent, les villes
ne muent pas – chante un naturaliste
quand les habitants passent en bas.

Plonge au fond du rêve. Ceux
qui disent gouverner ce monde,

ne leur prête pas trop d’ (
un arbre est ses racines et le vent,
de la chaleur ; ils se querellent pour
la forme des nuages) attention,

honore le passé mais fête le futur ;
souviens-toi que Dieu aime les filles.
(Ainsi lui chuchotait son père.)

Yongjia lu, où nous vivons. Un bâtiment
circulaire, quelconque, un homme

est descendu du triporteur, le temps (
ayant gravi des marches sans tapis rouge
ni photographe, pour un autre cinéma :
la rue qui devant lui s’anime) de l’averse

et d’une sèche, dont la fumée sculptée
rejoint « l’éternité tranquille » (c’est juste
le nom d’une rue). Avant de repartir trier.

Voici des lilongs. On longe les baraques
serrées de rouge brique et brique

grise sous les linges fumants, prêts pour (
les chars sauront écumer les mémoires
enterrer les vieux souvenirs sous le grabat
des âmes officiant) la réincarnation :

les corps disparaissent dans les lentilles
opaques du Commandeur – leurs caresses
savantes, leurs lèvres inutiles. Les revoici.

Des grands immeubles invisibles,
vivants, les meubles en sens inverse

menant leurs automobilettes (
l’un file après la vision ; le second
transporte des fragments
dans un cercueil) soudain se croisent :

« Tu viens authentifier l’imaginaire ? »
« Je vais aménager la crypte ! » Ils disparaissent,
le photographe et le poète.

Wuming jie ; quand le Chinois entre
l’échoppe d’une grand-mère et 电话超市, le soit-disant

« supermarché des électro-phones », est entré (
les bibelots accumulés d’un passé immédiat
auront tant fait vieillir les mots,
jaunir la langue) dans l’objectif

du photographe, il a fait le présent –
je suis passé. Son fils s’est amusé
de voir ce qui avait été, couler dans les rétroviseurs.

Henan lu, dont les murs dérobent les quartiers
en voie d’extinction, matés par le brillant

Centre Mondial des phynances (
la ville est un zoo, dit-on : plutôt qu’aux termitières
offrez aux pandas de béton, aux girafes de verre,
passant, l’admiration), à leurs habitants.

Au poète impuissant, au photographe :
au lieu de demeurer, enfourche ce vélo, dérive
dans les angles morts, bâtir nos villes alternatives.